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interrogée sur "à vos mailles !" - 2012

par Stéphanie le Follic-Hadida, docteur en Histoire de l'Art, commissaire de l'exposition "à vos mailles !" à la galerie Collection

«Voudrais-tu me donner ta perception du succès de la performance collective ?»

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Agnès Sébyleau :

Le chantier collaboratif a été un vrai succès, la galerie a bourdonné pendant deux semaines d’une activité de ruche ponctuée par le son métallique du crochet qui tombe.

Cet atelier informel a fait entrer dans une galerie des personnes qui ne font pas partie du public habituel de ce lieu d’exposition, depuis la dame étrangère faisant demi-tour devant les portes fermées du musée Picasso jusqu’à la jeune maman revenant de l’école avec sa fillette en passant par l’employée de bureau du quartier qui passe depuis des années devant sans penser y entrer.
Il y a eu aussi les habitués d’Ateliers d’Art de France, les blogueurs, les amis, les amateurs de la maille en tout genre...

J’envisageais un public de femmes mures averties, férues du bel ouvrage de dames et hautes techniciennes, et de jeunes femmes portées sur le crochet fantaisiste habituées au monde créatif des doudous et des bijoux faits maison.
Or il y a eu beaucoup de débutants - c’est une vraie surprise - qui ont passé des heures avec nous, qui ont tenu là un crochet pour la première fois, des passants attirés par l’ambiance décontractée qu’on percevait par les hautes fenêtres, des hommes, des jeunes, des vieux, des visiteurs qui sont revenus avec des amis.

La technique même du crochet, rattaché aux souvenirs d’une grand-mère, n’intimide pas.
Et les pelotes dans la panière en osier sont plus accessibles que les tubes de peintures et autres matériaux associés au monde des beaux arts.

Ce qui explique également que le quidam touche volontiers nos pièces exposées alors qu’il sait l’oeuvre d’art, sacralisée par la culture, intouchable.
C’est une technique sympathique.
Une pratique qui fait sourire.

Partager cette pratique à l’apprentissage facile encourage la relation. Les échanges sont chaleureux, vite amicaux, le regard porté sur le travail de l’autre est bienveillant. La mamie à béquille et le queer fashion échangent leur expérience penchés sur le travail de l’autre. Ils font les mêmes erreurs et en sourient. Rien n’est grave, c’est une expérience pacifique et la pièce collective ne connait pas la sélection.

Les gens partis avec pelote et crochet sont revenus nous confier le fruit de leur travail, heureux de savoir qu’il serait associé à l’ouvrage collectif et accepté sans façon.

Aujourd’hui une installation riche déploie ses ramifications dans la galerie et chacun peut y repérer sa contribution, de la plus modeste à la plus virtuose.

«Quel est ton sentiment propre sur la question de la naissance d'une forme ?»

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Agnès Sébyleau :

Technique simple et pratique souriante dessinent un versant de l’histoire.
Pour arriver à l’oeuvre il faut explorer un autre versant.

La forme est conditionnée par le concret, par les réactions du matériau à une technique.
L’intention de l’auteur doit s’en accommoder.
L’oeuvre nait quelque part entre cette intention et la réaction de la matière, elle nait de la conjugaison d’un savoir-faire et d’une substance.
Elle est le composé d’un dialogue.

Il doit y avoir rencontre entre l’artiste et sa technique.
Une rencontre où l’un comme l’autre trouve son épanouissement.
Si ça coince d’un côté comme de l’autre l’oeuvre en sera malade.
Des symptômes d’un malentendu y sont parfois perceptibles.

Passée par le monde de la PAO où règne le paramétrage, j’ai dû abdiquer une grande partie de ma volonté de contrôle pour laisser parler la ficelle.
Le pixel a fait place à la maille et je leur ai trouvé une parenté.
Cependant, l’enroulement préexistant de la ficelle et le léger décalage des mailles rangée après rangée ne m’autoriseront jamais une prise de pouvoir sur la réalisation de mes pièces.
Je m’en trouve perpétuellement dérangée et c’est un enrichissement.
Je dois partager mon dessein, accepter les grimaces de la ficelle crochetée, les écrasements provoqués par le poids de la réalisation (puisque je refuse apprêt et rembourrage), les à-peu-près.
J’y ai découvert le frémissement.

Ces versants amènent vers un lieu plus trouble et moins facilement explorable. Car là se trouve la question délicate de l’inspiration.
Elle est un souffle tellement intime.
Le mienne, pour faire simple, vient du corps et d’un questionnement sur l’identité.
Ce substrat corporel je l’ai traduit, pour faire mienne une famille de formes que je suis peut-être seule à percevoir comme issues du corps.
Quand oeil bouche ventre anus et sexe sont confondus en une même forme en allers-retours, et que l’échine n’est plus qu’une évocation de côtes sur une colonne, et les membres des prolongations digitées ou non.
C’est une organisation (d’organes) fantasmagorique qui s’éloigne de l’anatomique à mesure qu’elle se rapproche de mon implication.

Mes formes naissent dans ce quelque part là.
Au fond, je me fous pas mal et du crochet et de l’anatomie.

Le travail artistique n’est pas uniquement l’élaboration d’un monde de formes plus ou moins entendues. Il est heureux qu’une présence les habite et je crois que c’est à ce moment-là qu’on peut parler d’art.

janvier 2012